Ondes et Relativité
Serge Cabala
Aspects historiques des ondes et de la relativité.

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Annexe 1.
Le principe de moindre action, ou principe des causes finales.
(Son histoire, son application à la lumière.)

    La raison du chemin minimal est utilisée depuis l'antiquité.
    Héron d'Alexandrie (premier siècle après J.C.) pose comme principe que la lumière suit le chemin le plus court, et prouve par cela la loi de la réflexion sur un miroir plan.
    Claude Ptolémée (second siècle après J.C) reprend ce principe dans son traité d'optique.
    Witelo au treizième siècle (après J.C) l'utilise à son tour, et Clavius l'enseigne au seizième.
    Cette hypothèse, légèrement modifiée, est employée par Pierre Fermat (1601-1665), sous le nom de "principe d'économie naturelle", pour retrouver la loi de la réfraction.
    Pour Fermat, ce n'est pas le chemin qui doit être le plus court, mais le temps mis à le parcourir. Ce qui donne un résultat pas tout à fait identique à celui de Descartes. (Ce "principe d'économie naturelle" est le principe de Fermat en optique.)
    C'est ensuite repris par Leibniz, qui, dans son écrit imprimé en 1682, sous le titre de "Unicum opticae, catadioptricae, & dioptricae principium", se déclare hautement pour la manière de philosopher par le principe des causes finales, et l'applique à la réflexion et à la réfraction des rayons lumineux.
    Un peu plus tard, Huygens, dans son "Traité de la lumière" de 1690, montre de façon géométrique que sa théorie ondulatoire s'accorde avec le principe de Fermat.
    Christian Wolf (1679-1754) disciple de Leibniz publie en 1732 puis de nouveau en 1737 un ouvrage sur la cosmologie dont le titre très long commence par : "Comologia generatis, ......."  et dans lequel il utilise le mot action pour désigner le produit de la force vive par le temps.

    On attribue l'invention des termes "principe de la moindre quantité d'action " et "quantité d'action" à Pierre Louis Moreau de Maupertuis (1698-1759, célèbre président de l'Académie de Berlin de 1741 à 1756, intime de Frédéric le Grand), car il fit usage de ces expressions dans son écrit paru dans les Mémoires de l'Académie de Sciences de Paris le 15 avril 1744.
    Il présenta son principe comme manifestant tout particulièrement la sagesse du créateur.
    Ce que Maupertuis appelle action, c'est le produit de la masse par la vitesse par la distance parcourue, mais sa définition subit des variations suivant les problèmes abordés.
    Il l'appliqua à la réfraction et obtint un résultat conforme à celui de Descartes.
    Il s'en servit ensuite en mécanique et retrouva, en 1747, les lois du choc.
    Maupertuis, dans un ouvrage plus tardif publié à Lyon, dit avoir emprunté le mot action à Leibniz et Wolf . Voila ce qu'on y lit : "Ce que j'ai appelé action, il aurait peut-être mieux valu l'appelé force; mais ayant trouvé ce mot tout établi par Leibniz et Wolf, pour exprimer la même idée, et trouvant qu'il y répond bien, je n'ai pas voulu changer les termes."
    Voici ce qu'en pense Ernst Mach dans son livre "La Mécanique" paru en 1904 en France :
    "Maupertuis était un homme spirituel, mais c'était une tête faible et un faiseur de projets. ... Le principe de Maupertuis aurait sans doute bientôt disparu si Euler n'en avait repris l'idée."

    Fin 1744, Euler affine et précise ce principe en conservant l'expression et les vues théologiques de Maupertuis. Voici ce qu'écrit Euler :" Comme la construction du monde est la plus parfaite possible et qu'elle est due à un créateur infiniment sage, il n'arrive rien dans le monde qui ne présente des propriétés de maximum ou de minimum. C'est pourquoi aucun doute ne peut subsister sur ce qu'il soit également possible de déterminer tous les effets de l'univers par leurs causes finales, à l'aide de la méthode des maxima et des minima, aussi bien que par leurs causes efficientes." (Methodus inveniendi lineas curvas maximi vel minimi proprietate gaudentes. Lausannae 1744).

    D'Alembert(1717-1783) se méfie énormément de ce principe, il y consacre tout un article dans son encyclopédie. Après avoir constaté que " Le principe des causes finales est en défaut sur la réflexion." puisque sur un miroir concave, le trajet suivi par un rayon lumineux qui s'y réfléchit n'est pas le plus court possible, c'est même le plus long, d'Alembert poursuit par : " C'est bien pis sur la réfraction. Car en premier lieu, pourquoi dans le cas de la réflexion, la nature suit-elle tout à la fois le plus court chemin et le plus court temps au lieu que dans la réfraction, elle ne prend que le plus court temps et laisse le plus court chemin. On dira qu'il a fallu choisir parce que dans le cas de la réfraction le plus court temps et le plus court chemin ne peuvent s'accorder ensemble. A la bonne heure; mais pourquoi préférer le temps au chemin ? En second lieu, suivant M. Fermat et Leibniz, les sinus sont en raison directe des vitesses au lieu qu'elles doivent être en raison inverse. Reconnaissons donc l'abus des causes finales par le phénomène même que leurs partisans se proposent d'expliquer à l'aide de ce principe."
    Je rappelle que du temps de d'Alembert, la conception officielle de la lumière est celle de Newton, celle de corpuscules qui vont d'autant plus vite que le milieu est plus réfringent.
    Mais cela ne change rien aux remarques faites ci-dessus par d'Alembert. Lorsqu'on jette en oblique une petite bille qui perce une surface plane, elle subit une réfraction (au voisinage de la surface) dans laquelle les sinus sont en raison inverse des vitesses, comme pour l'hypothèse corpusculaire de la lumière. Ici le principe du temps minimum n'est pas respecté. Ce qui est minimum, c'est la somme des produits des distances par les vitesses, comme l'a fait remarquer Maupertuis, mais cette somme n'a pas de signification physique immédiate.
    D'Alembert, dans son encyclopédie, au mot cosmologie, à propos de la lois des chocs, propose plusieurs formules censées, qui toutes admettent un minimum, et il demande pourquoi la nature suivrait l'une plutôt que l'autre.

    Les méfiances envers le principe de moindre action restent toujours très vives à la fin du dix-neuvième siècle. Hertz objecte que ces principes de minimum renferment l'expression d'un but, d'une finalité et supposent une tendance vers le futur.( Hertz n'apprécie pas les théorie des énergétistes-anti-atomistes-relativistes, qui utilisent ce principe comme une leurs assises.)
    Henri Poincaré critique aussi ce principe en 1902 dans "La science et l'hypothèse", mais il l'utilisera abondamment en 1905 dans sa publication sur la relativité.

    Mach dans "La mécanique" de 1904 condamne toute exploitation théologique, mystique ou métaphysique de ce principe, il montre que ce principe n'est qu'une façon compliquée de présenter certains résultats de physique. Je le cite :" On peut donc, sans aucun doute, imaginer nombre d'autres expressions intégrales qui, par leurs variations, conduiront aux équations ordinaires du mouvement, sans que, pour cela, elles aient nécessairement une signification physique particulière."
    Mach constate, dans cette phrase, que l'action dont on recherche le minimum pour en tirer une solution déjà connue, peut n'être qu'une expression mathématique construite exprès, non unique et sans signification physique.
    Mach ne rejette pas le principe de moindre action, il l'accepte dans des cadres très précis avec des définitions rigoureuses. Il l'accepte en particulier dans le cadre d'une théorie énergétique générale, celle soutenue par les anti-atomistes dont il fait partie.
    Il exprime sa demande de rigueur en disant :"Nous nous bornerons à exiger d'un principe nouveau des preuves d'autant meilleures qu'il est plus général et que sa portée est plus grande, et cela à cause de la plus grande possibilité d'erreur."
    Je rappelle que Mach est un anti-atomiste notoire, c'est aussi un relativiste convaincu au sens d'Auguste comte. Il ne voit la physique que comme un ensemble de lois mathématiques rigoureuses qui décrivent les phénomènes observés, et écarte toute conjecture sur la nature profonde de la matière et de l'espace. Le travail de Mach est animé d'un esprit antimétaphysique comme il le déclare lui-même.
 

Donnons maintenant la loi de réfraction par le principe de moindre action.
 

     Un rayon (lumineux ) part de A, traverse la surface horizontale en I et parvient en B.
    Si le chemin AIB est parcouru en un temps minimal, I se trouve dans le plan vertical qui passe par A et B, car sinon, la projection du chemin sur ce plan vertical donnerait un chemin parcouru en un temps encore plus court.
     Dans ce qui suit, I est donc dans le plan vertical qui passe par A et B, comme sur la figure.

    Posons i l'angle CIA qui est l'angle d'incidence, posons r l'angle DIB qui est l'angle de réfraction.
    Posons v la vitesse du rayon AI, w celle du rayon IB .
    Les point A et B sont fixes, les vitesses v et w sont constantes. Seul I peut varier sur la ligne horizontale.

    Nous avons AC+DB qui est constant, donc d(AC+DB)=0 (différentielle de AC+DB)
    or AC=IC tan(i), et DB=ID tan(r) (tan est la tangente de l'angle)
    Nous avons donc :  (1)
    car IC et ID sont constants.
    Puisque d(AC+DB)=0 , on a :  (2)
    Or le temps mis par le rayon pour se rendre de A à B en passant par I est : 
    Donc, puisque IC et ID sont constants, on a : 

    Soit d'après (2) : 

    Le temps mis par le rayon est minimal si et seulement si dt =0, soit si et seulement si :

 , donc si et seulement si : ,
    qui est la lois habituelle de la réfraction, c'est celle donnée par Fermat et par Leibniz.
 

    Si nous supposons non plus un rayon, mais une petite particule sphérique qui va de A en B en passant par I,

    nous avons comme loi de réfraction : , c'est celle donnée par Descartes pour la lumière,

    celle acceptée par Newton, celle qui est officiellement admise comme loi de réfraction jusqu'au dix-neuvième siècle.
    Celle dont parle d'Alembert..

    Comment retrouver cette loi en utilisant le principe de moindre action ?

    La solution fut donnée par Maupertuis.
    L'action qu'il faut maintenant considérer, n'est plus le temps de parcours de la particule pour se rendre de A en B,
    mais l'expression : .

    En effectuant le même raisonnement que ci-dessus dans lequel on remplace v par 1/v et w par 1/w , on trouve la loi donnée par Descartes.
    Mais ici l'expression considérée, dont on cherche le minimum, n'a plus de signification physique simple.
 

    Je termine par une citation de d'Alembert: " Mais s'il est dangereux de se servir des causes finales à priori pour trouver les lois des phénomènes, il peut être utile, et il est au moins curieux de faire savoir comment le principe des cause finales s'accorde avec les lois des phénomènes, pourvu qu'on ait commencé par déterminer ces lois d'après des principes de mécanique clairs et incontestables."

    Serge CABALA

Annexe 2.                Sommaire.
 
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