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Il peut sembler impossible d'enseigner la chimie
sans faire connaître les hypothèses atomiques.
C'est pourtant ce que l'on faisait encore en France
dans les années 1920.
L'audience alors croissante du principe de relativité
(réinventé par Auguste Comte, défendu par Mach et
Duhem, puis fortifié par Einstein), semble favoriser le maintient
de l'influence des opposants aux atomes. Puisque les conceptions d'Einstein
avaient l'avantage de se passer de ces atomes en physique, il était
naturel que les adeptes de la théorie énergétique
continuent à s'en passer en chimie.
Il faut se souvenir que Marcellin Berthelot qui devint
ministre de l'Instruction Publique en 1886, était très défavorable
aux théories atomiques. Son influence orienta fortement l'enseignement
de la chimie dans les écoles publiques, et en particulier dans les
Ecoles Normales qui préparaient les futurs instituteurs. En
1920, les partisans de la pensée énergétique parvenaient
encore à maintenir leur idéologie dans ces institutions.
(Les écoles furent toujours un bon moyen de répandre
les idées, elles sont donc l'objet de multiples sollicitudes, et
de ce fait, les enseignements n'y sont jamais totalement neutres.)
Je rappelle que Jean-Baptiste Dumas (chimiste français
1800-1884) était opposé aux atomes.
Il détermina à Paris en collaboration
avec Jean Servais STAS (1813; 1891, chimiste belge) un grand nombre de
masses atomiques, appelées alors nombres équivalents ou nombres
proportionnels. Le concept de masse atomique en chimie n'a alors rien à
voir avec la théorie atomique de la matière, surtout pour
Dumas. Le mot masse atomique signifiait: masse que l'on ne partagera jamais
dans l'écriture d'une formule chimique, et non pas masse d'un nombre
donné d'atomes, comme à l'heure actuelle. Le mot atome (atomos)
veut dire indivisible en grec. Le terme "masse atomique" pourrait être
remplacé par "masse indivisible associée à
chaque symbole chimique".
Je précise que les programmes scolaires sont
rédigés de façon succincte, mais qu'il faut les respecter
à la lettre.
Voici donc le programme officiel de chimie des Ecoles
Normales en 1920 (Arrêté Ministériel du 18 août
1920)
CHIMIE
Première année
Composition de l'eau (Dumas). Valeur des symboles O et H.
Composition du gaz carbonique (Dumas et Stas). Valeur du symbole C.
Lois numériques des combinaisons chimiques en volumes et en masses.
Symboles, formules, équations chimiques. Valence.
Principe de la nomenclature chimique.
Révision exclusivement expérimentale des connaissances acquises
sur la chimie des métalloïdes et des métaux.
Actions des acides, des bases, des sels sur les sels.
Dosage d'un acide, dosage d'une base (liqueur titrées).
Dosage d'un sulfate à l'état SO4Ba, d'un chlorure
à l'état de AgCl.
Généralités sur les oxydes, les hydrates métalliques,
les sels.
Généralités sur les métaux. Notions générales
de métallurgie.
Sels de Sodium et de potassium, chlorure, azote, carbonate.
Sels de calcium. Carbonate, sulfates. Rôle de ces sels en agriculture.
Aluminium, alumine. Sulfate d'aluminium. Aluns, silicates d'aluminium.
Ce programme est suivi de ceux de seconde et troisième année, et ils sont du style de celui de première année dans ses dernières lignes.
Les cinq premières lignes du programme de
première année, indiquent que l'enseignement doit être
effectué en respectant les conceptions de l'école énergétique,
celle des anciens opposants aux atomes (Dumas, Berthelot, Duhem etc.…).
Dans ce programme on ne parle pas d'atome, il n'est
donc pas conseillé de les utiliser. L'hypothèse d'Avogadro
n'est pas citée, il ne faut donc pas en parler, et par conséquent
ne pas parler des atomes.
Les expressions : " Valeur des symboles O et H.
" et " Valeur du symbole C." signifient qu'il ne faut pas les interpréter
comme des représentations d'atomes, les noms de Dumas et Stas sont
là pour le rappeler, mais simplement associer des nombres à
ces symboles de substances, et montrer comment ces nombres sont obtenus
à partir d'expériences.
Pour confirmer ces directives, je prends un manuel de 1922 écrit
d'après ce programme.
" Leçons de Chimie, à l'usage des
Ecoles Normales, par Mme B. Gauthier-Echard , première année,
édition Fernand Nathan 1922"
Dans le chapitre premier, je lis : " Les expériences
constituent la partie principale de l'étude de la chimie, et nous
ne devons jamais oublier, dans toute cette étude, que la chimie
est avant tout une science expérimentale."
Aucune théorie atomique de la matière
ne doit donc intervenir dans ce livre.
Je cherche d'éventuelles allusions à
cette théorie, il n'y en à pas. Je n'y trouve pas non plus
le moindre sous-entendu de l'hypothèse d'Avogadro.
La présentation est lourde, car, avant l'emploi
de toute écriture symbolique, le livre commence par énoncer
au chapitre III les " Lois des combinaisons chimiques en masses
".
Elles sont de plus présentées avec
beaucoup de soins et d'exemples.
Ces lois sont énoncées ainsi dans ce
manuel:
" 1° La loi de Lavoisier : La masse d'un
composé est égale à la somme des masses des composants.
"
" 2° La loi de Proust : Deux corps qui s'unissent
pour former un même composé se combinent toujours dans des
proportions invariables. "
" 3° La loi de Dalton : Lorsque deux corps
se combinent pour donner; plusieurs composés, les masses de l'un
qui s'unissent à une même masse de l'autre, sont entre elles
dans des rapport simples. "
" 4° La loi de Richter : Deux corps B,
C, s'unissent entre eux suivant des multiples entiers et généralement
simples des masses de ces corps qui se combinent à une même
masse d'un troisième A. "
Dans le chapitre suivant intitulé :"
Nomenclature écrite, symboles et formules "
(Les parties en gras le sont dans le livre, et il n'y a pas d'erreur
de recopie dans la formule de l'eau. Je met en rouge certains passages
importants)
Je lis : " Il résulte de la loi de Richter
que le composé d'oxygène et d'azote formé de 8
grammes d'oxygène pour 3 fois (4 grammes 2/3) d'azote
pourra être représenté, -si je décide, par exemple,
que le symbole O représente 8 grammes d'oxygène
et le symboles N (4 grammes 2/3) d'azote,- par la
formule suivante : ONx3, ou encore, ON3,
ce qui voudra dire, que le corps est formé de 1 fois 8
grammes d'oxygène et de 3 fois (4 grammes 2/3)
d'azote.
De même, si je conviens que H représente
1 gramme d'hydrogène, et S 16 grammes de souffre,
je pourrai écrire de suite :
Pour la formule de l'eau : HO, puisque 1
gramme d'hydrogène se combine à 8 grammes d'oxygène
;
Pour la formules de l'hydrogène sulfuré
HS puisque 1 gramme d'hydrogène se combine à
16 grammes de soufre ;
Pour la formule du gaz sulfureux SO2,
puisque 16 grammes de soufre se combinent à 16 grammes
d'oxygène etc.
Autrement dit, si, comme précédemment,
nous fixons pour chaque corps simple un nombre qui
soit représenté par un symbole, nous pourrons toujours
écrire la formule d'un composé, après en avoir
déterminé la composition, pour savoir combien de symboles
de chaque corps simple entre dans la constitution ; et d'après
la loi de Richter toutes les formules renferment un nombre entier
de fois les symboles des corps simples.
"
On ne dit absolument pas atome, mais symbole du corps simple, et nombre associé à ce symbole. La pensée des partisans de l'énergétique qui ne veulent pas des atomes, est parfaitement respectée dans ce manuel.
Je continue la lecture : " Il nous reste donc
à faire un tableau de tous les corps simples de la chimie avec le
poids correspondant à leur symbole, et qu'on appelle leur nombre
proportionnel. …..
Il faut donc établir des conventions
pour le choix des nombres proportionnels.
On décide de prendre l'hydrogène comme
corps A servant de terme de comparaison, et on convient que : H=1.
Pour les autres corps simples, leur nombre
proportionnel, qu'on appelle poids atomique, est choisi de
telle sorte que les formules des composés remplissent les conditions
suivantes : "
On constate que le terme poids atomique, employé ici la première
fois, a exactement la signification que j'ai donné au début.
Je continue cette lecture :
" 1° Elles doivent être d'accord avec leur composition
;
2° Elles doivent être d'accord avec
leurs propriétés chimiques. Il en résultera que des
corps analogues chimiquement devront avoir une formules analogue.
3° Elles doivent présenter le maximum
de simplicité compatible avec la première condition.
"
Cette façon de présenter les poids
atomiques, est bien celle de l'école énergétique-relativiste
du dix-neuvième siècle.
Je poursuis :
" Valeur du symbole O. …. {on décrit
ici l'expérience de Dumas} …
L'expérience répétée
un grand nombre de fois par Dumas a donné les résultats suivants
:
1 gramme d'hydrogène se combine à
8 grammes d'oxygène pour donner de l'eau. Donc la formule
la plus simple de l'eau est HO, et O est pris égal
à 8. Mais cette formule HO est incompatible avec
ce fait que la moitié de l'hydrogène de l'eau peut être
remplacé par du potassium et du sodium. ….. Le maximum de simplicité
compatible avec les propriétés chimiques de l'eau nous indique
qu'il vaut mieux prendre O=16. Nous aurons donc 16
pour poids atomique de l'oxygène, et la formule de l'eau
devient H2O."
" Valeur du symbole C. ….{on décrit
l'expérience de Dumas et Stas} …
On trouve que 6 grammes de carbone se combinent
à 16 grammes d'oxygène pour donner du gaz carbonique.
Comme nous avons déjà O=16, la formule la plus
simple du gaz carbonique est CO, et C est pris égal
à 6.
Mais cette formule CO est incompatible
avec ce fait que la moitié du gaz carbonique peut lui être
enlevé par le charbon pour donner de l'oxyde de carbone. …..
Le maximum de simplicité compatible avec
les propriétés chimiques du gaz carbonique nous indique donc
qu'il vaut mieux prendre C=12.
Nous avons donc 12 pour poids atomique du
carbone, et la formule du gaz carbonique est CO2. …..
En opérant de façon analogue à
propos de chaque corps simple, nous pourrons fixer un tableau de poids
atomiques, conduisant pour les corps composés à des formules
qui répondent aux conditions citées plus haut.
C'est ce système qui est adopté par
les chimistes et qu'on désigne sous le nom de système
des poids atomiques. Il est d'accord avec tous les faits connus jusqu'ici
en chimie."
" En résumé, on appelle poids atomique d'un corps simple le poids de ce corps qui, adopté par les chimistes, permet de présenter ses composés par des formules aussi simples que possible, et correspondant à leurs propriétés chimiques. "
La démarche relativiste est parfaitement respectée, on n'a fait aucune hypothèse sur la constitution profonde de la matière.
Le paragraphe suivant est consacré aux " Lois
des combinaisons en volume. "
On y effectue des calculs élémentaires
sur des corps simples à l'état gazeux, calculs qui font intervenir
la densité et le poids atomique.
" En répétant le même calcul
pour tous les éléments gazeux, on trouve que leurs poids
atomiques occupent tous le même volume : 11lit,16
. Ainsi, le chlore, l'azote, ont un poids atomique correspondant a un volume
de 11lit,16. Il est bien entendu qu'il s'agit
seulement de corps simples gazeux à la température ordinaire.
"
Dans tout ceci n'y a pas la moindre évocation de l'hypothèse d'Avogadro, et donc pas la moindre évocation de la constitution atomique de la matière.
Je continue par l'extrait suivant :
" Ce que représente un symbole et une
formule.
En résumé : 1° un symbole
d'un corps simple représente toujours une masse déterminée
qui est la masse atomique du corps. Dans le cas seulement où
le corps est gazeux à la température ordinaire,
il représente aussi un volume constant : 11lit,16
;
2° Une formule d'un corps composé
représente toujours une masse déterminée qui est la
masse ou poids moléculaire du corps. Dans le cas seulement
ou le corps est gazeux ou vaporisable sans décomposition,
elle représente aussi un volume constant de 22lit,32.
Le symbole d'un corps simple
s'appelle parfois atome, et la formule d'un corps composé,
molécule. "
Il est donc bien spécifié, que le mot
atome désigne la "lettre" qui représente
un corps simple.
L'atome d'hydrogène c'est simplement la lettre
H , et la molécule d'eau c'est uniquement l'écriture
H2O.
Je termine par ce dernier fragment :
" Les formules simplifient donc l'écriture
des réactions. Mais if faut se rappeler que l'on ne peut représenter
une réaction par une formule que si l'on connaît très
bien cette réaction, ainsi que la composition des corps employés
et des corps formés. Autrement dit, ces formules ne nous apprennent
absolument rien de nouveau ; elles ne sont que la représentation
rapide et exacte d'une chose que nous savions d'avance. "
Les formules ne sont donc que des condensés
de recettes pratiques. Toute prétention de représentation
atomique (au sens moderne) y est exclue.
On ne pouvait mieux respecter
les volontés de l'école énergétique-relativiste.
Serge CABALA