Ondes et Relativité
Serge Cabala
Aspects historiques des ondes et de la relativité.

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Chapitre VI
Les travaux de Lorentz, d'Einstein et de Poincaré
 
Paragraphe 2.
Les travaux d'Albert Einstein de juin et septembre 1905.
 
a) Analyse des travaux.
b) Les contrecoups. <<<>>>

a) Analyse des travaux.
    Le 30 juin 1905, plus d'un an après la publication de Lorentz, Einstein fait parvenir pour parution son travail intitulé: Sur l'électrodynamique des corps en mouvement (Annalen der Physik t. XVII 1905).
    Dans ce traité, Einstein, grand admirateur des idées de Mach, se place essentiellement du coté des énergétistes-équivalentistes-relativistes. Il ne cherche pas à expliquer, comme Lorentz, à l'aide de conceptions atomiques électroniques et mécanistes, mais sauve l'apparence des phénomènes observés depuis peu (expérience de Michelson et Morlay, masses variables, énorme énergie dégagée par les produits radioactifs...) à l'aide d'un principe, que l'on qualifiera de transcendant, celui de l'équivalence des systèmes de référence, et qu'il nommera parfois par la suite: principe de Mach.
    Dans une note de son introduction, Einstein précise qu'il ne connaissait pas encore le dernier mémoire de Lorentz lorsqu'il rédigea le sien.

    Dans cette même introduction, Einstein s'étonne du fait, qu'étant donné un fil conducteur et un aimant, la différence de potentiel aux borne du fil reste la même que l'on déplace l'aimant ou le fil. Seul le déplacement relatif de l'aimant par rapport au fil est significatif, ce qui fortifie sa croyance en un principe relativiste universel. Pourtant quelques années auparavant, Lorentz qui soutint l'hypothèse d'un courant électrique formé d'électrons circulant dans les corps conducteurs, donna une explication parfaitement claire de ce phénomène sans faire intervenir de principe supérieur.

    Un aimant qui se déplace provoque un champ électrique qui fait naître une tension aux bornes du fil immobile. Mais lorsque c'est le fil qui se déplace, les électrons qui lui sont liés avancent aussi dans le champ de l'aimant. Ils sont alors soumis, d'après les lois de l'électromagnétisme, à une force perpendiculaire à la fois au champ et à la vitesse du fil, ce qui fait encore naître la même tension aux bornes de ce fil.

    Mais cette explication ne satisfait pas du tout les anti-atomistes. Pour eux les électrons n'existent pas plus que les atomes, pas plus que le fluide électrique, et le courant dans un fil est tout simplement un état particulier de ce fil: l'état électrique; parfois assimilé à une sorte de compression ou dilatation du corps conducteur.
    Cette explication ne satisfait pas non plus Einstein, qui la trouve trop dissymétrique.

    Einstein fait encore remarquer dans son introduction, que la théorie qu'il présente repose sur la cinématique du corps rigide (défini par le principe 8 cité plus haut), car dit-il : ".. les énoncés de toute théorie visent aux rapports entre les corps rigides (systèmes de coordonnées), des horloges et des processus électromagnétiques."

    On voit poindre dans ce point de vue, la doctrine des énergétistes-relativistes-anti-atomistes.

    Einstein poursuit par: "L'oubli de cette circonstance est l'origine des difficultés avec lesquelles l'Electrodynamique des corps en mouvement a actuellement à lutter."
    Or il n'y a plus vraiment de difficulté, J.J Thomson, Abraham, Lorentz etc.. ont par leurs conceptions atomiques et électroniques, expliqué bon nombre de phénomènes. Les obstacles ne subsistent que si l'on refuse ces conceptions atomiques, que si l'on refuse le fluide électrique formé d'électrons.
    Mais pour Einstein, Il n'est pas question de faire intervenir les atomes, pas question d'utiliser la structure de la matière dans ses explications. Un bonne vertu (de l'espace et du temps) doit suffire à justifier l'apparence des phénomènes observés, suivant ainsi le principe d'économie de pensée de Mach.

    Dans cet écrit de 1905 Einstein ne prononce jamais le mot atome. Le mot électron qui apparaît vers la fin de sa publication ne désigne qu'une particule ponctuelle électriquement chargée, qui ne fait pas référence aux électrons de J.J. Thomson ou de Lorentz.

    Je cite Einstein : "Admettons que dans un champ électromagnétique se déplace une particule ponctuelle chargée que nous appellerons <<électron>> et sur la loi du mouvement duquel nous supposerons ce qui suit: ..." On voit avec quelle prudence ce mot <<électron>> est introduit, Il ne désigne qu'une particule chargée de grosseur réduite, et non pas le grain fondamental et insécable d'électricité dont on a calculé les dimensions. Cette retenue ne peut que plaire aux anti-atomistes, car l'électron d'Einstein est sécable à volonté, contrairement à celui de J.J Thomson. Le mot électron est ainsi éloigné de sa signification première.

    En étendant à peine ce procédé, pour convenir aux anti-atomistes, on aurait pu, de plus, dévier le mot atome de sa définition historique en disant : Considérons une particule ponctuelle massique éventuellement chargée, que nous appellerons atome ou électron. Mais le mot atome étant beaucoup plus ancien que le mot électron, on aurait alors choqué certains physiciens, surtout des relativistes, qui utilisaient toujours l'expression "masse ponctuelle" pour bien la distinguer de l'atome.
   Mêmes les anti-atomistes les plus notoires, n'ont pas tenu, en physique, à cette façon de détourner les concepts d'atome et d'électron. Bien que certains chimistes l'aient déjà fait à cette époque, en appelant atomes, les symboles employés pour désigner les corps simples (les symboles H, O, C, N, Na, U, etc... sont les atomes de l'alphabet chimique. Voir dans l'annexe : Un programme de chimie en 1920.)
    Dans leurs travaux, J.J. Thomson, Abraham, Lorentz, Henri Poincaré,.. parlent en permanence d'électron (comme constituant insécable), d'atome et d'éther, ce qui contrarie fortement les énergétistes-équivalentistes-anti-atomistes (appelés relativistes depuis 1898).

    Revenons au contenu de ce manuscrit de 1905.
    Les distances sont donc mesurées à l'aide de règles matérielles idéalement rigides et les temps par des horloges idéales, toutes de même construction, placées en divers points.
    La grosse différence avec Lorentz, c'est cette parfaite rigidité des corps, qu'ils soient au repos ou en mouvement. Pour Einstein les corps idéalement rigides existent, et forment la base de tout système de mesure des distances. Pour Lorentz, il n'y a pas de corps idéalement rigide, ils sont tous soumis aux lois inhérentes à leur constitution atomique, et la contraction dont ils sont l'objet dans l'expérience de Michelson et Morlay, n'est due qu'à leur structure électromagnétique. Pour Lorentz, l'électron est de nature "ondulatoire"(voir plus haut les travaux de Lorentz), tandis que pour Einstein c'est un morceau de matière rigide électriquement chargé, comme il le précise (voir plus bas certaines citations).

    Tout de suite après son introduction, Einstein définit la simultanéité en faisant intervenir la lumière.
    Sa définition n'est pas des plus compréhensible, car il ne précise pas clairement ce qu'est pour lui un système de référence, au repos ou en mouvement. Il n'est question que de règles rigides et d'horloges (idéales) que l'on synchronise à l'aide d'un signal lumineux.
    On finit par comprendre que ses systèmes de référence sont formés d'un empilement de corps idéalement rigides qui remplissent tout l'espace et sur lesquels sont installées une ou plusieurs horloges idéales synchronisées par la lumière.
    La mise en mouvement étant faite intuitivement comme en mécanique classique, et la synchronisation étant toujours assurée par la lumière.

    Puis après la simultanéité on passe à la relativité des longueurs et des temps qui, je cite Einstein , "s'appuient sur le principe de relativité et le principe de constance de la vitesse de la lumière", partie dans laquelle il est encore question de tiges rigides et d'horloges qui mesurent le temps, temps qui est chez Einstein, grâce à la synchronisation, toujours universel pour un système donné. Einstein explique dans cette partie que la mesure de la longueur d'une tige rigide au repos ne donne pas le même résultat qu'en mouvement. Il explique aussi que des horloges synchronisées dans un système en mouvement sont vues décalées dans le système au repos.

    Je résume et éclaircis ci-dessous la pensée de ces deux premières parties.
    Un système de référence est formé d'un corps (tiges) idéalement rigide. Dans ce corps rigide, on distingue des tiges rigides graduées qui forment un repère orthonormé de ce corps. De plus, en chaque point de ce corps rigide, se trouvent affichées les coordonnées de ce point.
    A l'origine du repère, qui est un point du corps rigide, se trouve attachée une horloge idéale ainsi qu'un télescope puissant qui permet d'observer et de lire les coordonnées de tous les points du corps rigide. Lorsque qu'un événement E (explosion par exemple) surgit en un point de ce corps rigide (en un point de ce système de référence), le télescope repère la position de E et l'on note sur l'horloge centrale, la date To d'observation. Connaissant la distance D de l'événement au télescope, distance calculée d'après les coordonnées affichées au pied de E et lues par le télescope, la date T de cet événement par rapport à ce corps rigide (système de référence) est : T = To - D/c , c étant une constante universelle représentant la vitesse de la lumière.
    Lorsque le corps rigide est au repos, il coïncide parfaitement avec une système de référence classique. Mais que se passe-t-il lorsqu'il est en mouvement ? Et que devient son horloge ?
    Einstein ne définit pas la mise en mouvement, elle est faite de façon intuitive, calquée sur ce que l'on fait en mécanique classique.

    Dans une troisième partie, Einstein retrouve les transformations de Lorentz. Je cite le début : "Soient donnés dans l'espace <<au repos>> deux systèmes de coordonnées, c'est à dire deux systèmes de lignes matérielles rigides, qui partent d'un point et qui sont normales l'une à l'autre. Supposons que les axes x des deux systèmes coïncident et que les axes y et z soient respectivement parallèles. Imaginons en outre que chaque système soit pourvu d'une règle rigide et d'un certain nombres d'horloges rigoureusement identiques. Communiquons maintenant à l'un de ces systèmes (k) une vitesse (constante) v dans le sens des x croissants par rapport à l'autre système au repos (K), vitesse qui se communique aux axes de coordonnées, à la règles et aux horloges. "

    On voit de nouveau apparaître les corps idéalement rigides, et les horloges parfaites.

    La mise en mouvement est laissée dans le flou, il est simplement dit :"...vitesses qui se communiquent..."; et c'est à partir de ce flou, en multipliant les hypothèses adéquates, qu'Einstein reconstruit les transformations de Lorentz, qui en définitive sont les seules formules qui déterminent rigoureusement le système (k) en mouvement.

    On peut se demander si, sans les nombreuses publications de Voigt, Fitzgerald, J.J. Thomson, Abraham, Kaufman, Lorentz etc.., cette reconstruction aurait pu être faite à partir de simples considérations relativistes ?

    A l'heure actuelle, dans de nombreux manuels, on reconstruit les formules de Lorentz comme l'a fait Einstein, ce qui pour un mathématicien rigoureux n'est pas bien satisfaisant car interviennent certaines hypothèses plutôt métaphysiques.

    Les transformations données, Einstein en exploite le sens dans une quatrième partie intitulée :
"La signification physique des équations concernant des corps rigides et des horloges en mouvement."
    Einstein explique dans cette partie, cette fois par les transformations de Lorentz, que les corps rigides en mouvement, sont, vus du repère au repos, contractés dans le sens de leurs mouvements.
    Il explique aussi qu'une horloge en mouvement retarde. Je cite :" Si aux points A et B de K se trouvent des horloges au repos (considérées dans le système au repos) dont la marche est synchrone, et si l'on déplace l'horloge en A avec la vitesse v le long de la ligne qui la relie à B, on constate qu'après son arrivée en B les deux horloges ne sont plus synchrones."

    Tout de suite après, dans une cinquième partie nommée :
    " Théorème de l'addition des vitesses. " apparaissant les formules d'addition des vitesses, formules qui sont véritablement nouvelles. Elles seront également publiées par Henri Poincaré à un mois d'intervalle.

    Dans la partie six, Einstein applique les transformations de Lorentz à l'électromagnétisme.
    Il retrouve par des considérations relativistes et par l'utilisation des transformations de Lorentz, les formules déjà données par Lorentz sur les champs électromagnétiques provoqués par des corps en translation uniforme. La nouveauté, c'est qu'Einstein considère que dans le repère en mouvement qui accompagne le corps, s'appliquent les mêmes lois que celles du repère au repos qui contient le corps au repos. Ceci d'après son principe d'équivalence des repères. Pour Lorentz, cette équivalence limitée à l'électromagnétisme, n'est qu'une simple conséquence de ses transformations, qu'il ne considère que comme un outil mathématique qui facilite les calculs.
    Pour Einstein, c'est une métaphysique, capable d'abriter de nombreuses autres propriétés.
    Chose curieuse, Einstein ne cite que deux des quatre équations de Maxwell, bien que les quatre soient nécessaires à l'obtention des formules présentées.

    Dans les parties sept et huit, Einstein, utilise les transformations électromagnétiques de la partie six à l'étude de l'effet Doppler et de l'aberration, puis de la transformation de l'énergie des rayons lumineux et de leurs pressions sur des miroirs parfaits. Des résultats connus sont ainsi retrouvés en partie de façon différente.
    Je cite la fin de la partie huit : " Grâce à la méthode employée ici, tous les problème de l'optique des corps en mouvement peuvent être résolus. L'essentiel est d'effectuer le passage de la force électrique et magnétique de la lumière, qui subit l'influence d'un corps en mouvement, à un système de coordonnées qui est au repos par rapport à ce dernier. Par là, tout problème de l'optique des corps en mouvement est ramené est ramené à une série de problèmes de l'optique des corps au repos."
    Cette méthode est très intéressante, mais celles données auparavant, par Abraham et Lorentz, qui font intervenir les quantités de mouvement électromagnétiques, sont tout aussi remarquables.

    Le titre de la partie neuf est intéressant à citer :
    "Transformation des équations de Maxwell-Hertz en tenant compte des courants de convection."
    Dans ce titre, on voit qu'Einstein utilise l'expression "courants de convection", ce qui laisse entendre qu'il fait la distinction entre courant de convection et courant de conduction, comme les énergétistes-anti-atomistes, qui je le rappelle sont contre tout fluide électrique, et pour qui, le courant électrique dans un corps conducteur n'est qu'un état particulier de ce conducteur, sans rapport avec une quelconque circulation de fluide.
    Le courant de convection, terme nouvellement introduit en électricité sous la pression des anti-atomistes, désigne le mouvement de corps chargés.
    Lorentz ne fait pas cette différence, il ne parle que d'électrons ou de densité de charge en mouvement, et pas de courant de conduction ou de convection..

    Dans cette partie on lit : " En imaginant les masses électriques comme étant liées d'une manière invariable à de petits corps rigides (ions électrons), ces équations forment la base électromagnétique de l'électrodynamique et de l'optique des corps en mouvement de Lorentz."
    On voit que l'électron d'Einstein est un corps rigide alors que pour Lorentz, Langevin et Poincaré, c'est un corps insécable qui peut se déformer. De plus Lorentz écrit : "Théorie des électrons", et pas électrodynamique des corps en mouvement.

    Les résultats donnés par Einstein dans ce paragraphe neuf, sont une généralisation de ce qui est fait dans la partie six, et c'est ici qu'on voit, que la formule de densité de charge d'un électron en mouvement, mesurée dans un repère en translation uniforme, diffère de celle donnée par Lorentz, qui lui se base sur d'autres variables; comme je l'ai déjà signalé dans le résumé de ses travaux.

    Passons à la partie dix intitulée :
    " Dynamique de l'électron (lentement accéléré)."
    Je rappelle que l'électron d'Einstein est un petit corps rigide chargé d'électricité.

    En raisonnant tantôt dans le repère fixe, tantôt dans un repère en mouvement, Einstein trouve une relation entre l'accélération de la particule mesurée dans le repère fixe, et la force qui s'exerce sur elle mesurée cette fois dans le repère mobile. Il en déduit la masse longitudinale et transversale de la particule. La masse longitudinale est par chance juste, la transversale est incorrecte( voir chapitre V, paragraphe 7).

    Einstein détermine ensuite l'énergie cinétique de l'électron par un raisonnement simple et agréable.

    Il trouve: désignant la masse de la particule au repos, v sa vitesse, V la vitesse de la lumière et w l'énergie cinétique de la particule à vitesse v.

Cette formule, aux notations près, est identique à celle qu'avait donné Max Abraham en 1904 pour un électron, et que j'ai citée plus haut.

    Einstein termine cette publication de juin 1905 par un remerciement: " En terminant je tiens à dire que mon ami et collègue M. Besso m'a constamment prêté son précieux concours, pendant que je travaillais à ce problème, et que je lui suis redevable de maintes suggestions intéressantes."

    En septembre 1905, Einstein ajoute un complément intitulé :
    " L'inertie d'un corps dépend-t-elle de sa capacité d'énergie ?"

    Prenant un corps au repos qui émet de façon égale de la lumière dans deux directions opposées, une émission de lumière d'énergie L, mesurée dans le système au repos, donne une émission d'énergie , mesurée dans le système à vitesse v.
    La différence d'énergie est donc de  .
    Expression qui développée en série donne comme premier terme  (D)
    (V étant la vitesse de la lumière ).

    Einstein suppose que la différence (D) fait partie de l'énergie cinétique de l'émetteur mesurée dans le système ne mouvement.
    Ou encore, dit autrement : lorsque le corps émet une énergie L dans le système au repos, son énergie cinétique mesurée dans le système en mouvement diminue de (D) .

    Posons m la masse du corps émetteur dans le système au repos.
    Pour v faible, l'énergie cinétique de ce corps émetteur dans le système en mouvement est :  (C)
    Si l'on compare (D) et (C) , et puisque v est constant (le corps ne bougeant pas dans le système au repos, sa vitesse est constante dans le système en mouvement), alors que l'énergie cinétique du corps diminue, c'est que m doit diminuer de la quantité  .
    Formule qui est d'autant plus juste que v est voisin de zéro.
    Un corps au repos qui émet une énergie L doit perdre une masse de .

    Cette conclusion, comparée à l'hypothèse de Gustave Lebon, comparée aux travaux de Lorentz d'Abraham et de Poincaré, n'est pas révolutionnaire.
    Pour Gustave Lebon, la masse étant équivalente à de l'énergie, une émission d'énergie se traduit nécessairement par une diminution correspondante de masse. Ce qu'il a soutenu depuis 1903-1904. (Pour Lebon, l'énergie contenue dans un corps de masse m est de la forme kmc2 , k étant une constante positive qu'il ne détermine pas, mais qu'il estime supérieure à 1/18 .)

    Pour Abraham, Lorentz et Poincaré, l'inertie d'un corps étant d'origine entièrement électromagnétique, une perte d'énergie correspond aussi à une perte de masse.
    En effet: soit un électron immobile, assimilé à une sphère chargée. Si à son énergie électrostatique, on ajoute l'énergie potentielle des forces nécessaires à maintenir la cohésion de l'électron (celle donnée par Poincaré) on obtient une énergie totale de moc2 , mo étant la masse électromagnétique de l'électron au repos donnée par  Abraham (la formule de mo est donnée plus haut  chapitre V paragraphe 7). Une perte d'énergie L correspond donc à une perte de masse de L/c2.
(J'utilise tantôt la notation de Lorentz et tantôt celle d'Einstein pour la vitesse de la lumière. Bien évidemment c = V .)

    Les formules donnant les énergies selon Lorentz et Abraham sont données dans la partie consacrée aux travaux de Lorentz (chapitre VI paragraphe 1).

    J'ouvre ici une parenthèse à propos de cet écrit de septembre 1905.
    Il est intéressant de remarquer, que l'émission d'un rayon lumineux provoque toujours une force sur l'émetteur. Pour le corps au repos qui émet deux rayons identiques dans deux directions opposées, les deux forces sont égales et opposées, et le corps reste au repos. Mais lorsque le corps est à vitesse v (que l'on suppose dans la direction des rayon émis), les deux forces mesurées dans le système au repos ne sont plus égales car la lumière émise dans le sens du mouvement du corps est plus énergique que celle émise en sens contraire. La force résultante sur le corps devrait donc le ralentir, mais il poursuit sa trajectoire comme s'il n'était soumis à rien. Comment peut-on expliquer ceci dans le système au repos ? D'ou vient la force qui compense cette différence et qui maintient le mouvement ? Recourir à l'équivalence des systèmes n'est pas une explication satisfaisante, il faut trouver une raison qui explique dans le système au repos le maintient du mouvement.
    Dans le cadre actuel de la physique, on préfère ne pas évoquer ce problème, et Einstein ne l'évoque pas non plus, il s'en tient à l'équivalence des systèmes de référence.
    Pourtant les solutions existent, j'en donne une première, un peu étrange, qui rejoint le calcul fait par Einstein en septembre 1905. Le corps émetteur à vitesse v, perd une partie de sa masse. Or si cette partie de masse est éjectée à vitesse v à l'arrière du corps, cela compense exactement la différence entre les forces avant et arrière produites par l'émission des rayons lumineux. C'est ce que prouvent des calculs rigoureux que j'ai fait là dessus. Cette première explication suppose qu'énergie et masse sont deux choses différentes, la masse serait une sorte de poudre, et l'énergie le lien entre les grains de cette poudre lorsqu'elle constitue un corps. L'énergie E nécessaire à lier une masse m de poudre étant toujours définie par E=mc2 . Un corps perdant de l'énergie, verrait donc se détacher de lui, sous forme de poudre, une part de sa masse proportionnellement à l'énergie perdue, et la masse poudreuse perdue se retrouverait à l'état de repos (vitesse nulle) dans le système immobile. Cette explication n'est pas des plus élégante, mais elle a le mérite d'être mécaniste, elle donne une interprétation simple dans le cadre de la mécanique classique, d'un phénomène qui passe pour mystérieux. Je peux fournir, dans un cadre totalement ondulatoire, une autre explication qui est très satisfaisante, mais ce serait un peu long ici.
Fin de la parenthèse.
 
b) Les contrecoups.
    La publication d'Einstein intéressa tout de suite les énergétistes-relativistes, et particulièrement Mach. On avait là une solution qui se passait totalement des atomes et de l'éther, un grand principe, analogue à ceux de la thermodynamique, suffisait une fois de plus à justifier les résultats des expériences nouvelles.
    Ces satanés atomes et cet éther insaisissable étaient enfin remplacés par une vertu spéciale de l'espace et du temps, conforme aux vues péripatéticiennes d'un Pierre Duhem.
    Sans cette opposition farouche aux conceptions mécanistes et atomiques, la publication d'Einstein aurait été considérée comme une façon originale de retrouver les résultats donnés par Lorentz et Abraham. Tel le principe de moindre action qui permet de retrouver la loi de la réfraction sans connaître la nature de la lumière, ce qui est moyennement satisfaisant.
    A la fin de sa vie (1916), Mach rejeta totalement les explications d'Einstein basées sur son principe. Comme Mach, Pierre Duhem et d'autres énergétistes la rejetèrent aussi. Duhem refusait le "réalisme illogique".

    A l'heure actuelle, lorsque l'on demande pourquoi les corps en mouvement se contractent, on répond : en vertu du principe de relativité, ce qui est une réponse typiquement aristotélicienne (péripatéticienne).

(Chez Aristote, l'espace est muni d'une vertu occulte qui a pour effet de faire tomber les corps lourds vers son centre, et d'en écarter les corps légers. Ce qui illustre bien cette physique péripatéticienne.)

    Depuis 1905, l'espace et le temps sont à nouveau munis de vertus occultes (principe de relativité), que quantifient des formules. Et toute interprétation mécaniste de ces vertus est maintenant hautement condamnée, à l'exemple de la thermodynamique de la fin du dix-neuvième où l'on rejetait l'explication par l'agitation des atomes. L'analogie est d'autant plus frappante que, comme en thermodynamique, où les lois furent principalement trouvées par des atomistes, les formules de la relativité furent d'abord données par des mécanistes (Voigt, Fitzgerald, Abraham, Langevin, Lorentz .. ).

    Il est étonnant de constater que jamais Henri Poincaré ne cite ou ne mentionne ce travail d'Einstein, même dans ses écrits très postérieurs à 1905. Pourtant Henri Poincaré parle abondamment des travaux de Lorentz d'Abraham de Kaufman de Langevin et de bien d'autres. Il parle de mécanique nouvelle dans ses conférences, il commente le principe de relativité qu'il connaît de longue date (avant 1905), il commente ses propres travaux, mais ne fait jamais référence aux travaux ou raisonnements faits par Einstein en relativité. Henri Poincaré dit "principe de relativité de Lorentz", et ceci jusqu'à sa mort en 1912.
    L'argumentation relativiste parfois sommaire ne semblent pas plaire à Henri Poincaré qui est un mathématicien hautement rigoureux.
    La seule fois ou l'on note publiquement le nom d'Einstein chez Poincaré, c'est lors d'une conférence intitulée " Les rapports de la matière et de l'éther" faite le 11 avril 1912, quelques mois avant sa mort, conférence qu'il avait tout d'abord refusée de faire. Dans cette conférence il expose les derniers progrès des théories atomiques. On y lit :" ..; les anciennes hypothèses mécanistes et atomistes ont pris ces derniers temps assez de consistance pour cesser presque de nous apparaître comme des hypothèses;.." . On se rend compte qu'à cette date encore, les atomes ne sont pas unanimement admis.
    Poincaré parle ensuite de l'action de la lumière sur les atomes par l'intermédiaire de l'éther, et c'est à cette occasion qu'il fait référence au travail d'Einstein sur l'effet photo-électrique (publié en 1905, avant son travail fondamental). Je cite Poincaré : "M. Einstein a étudié l'action de la lumière sur les molécules; ces molécules subissent, en effet, quelque chose qui ressemble à la pression de radiation; M. Einstein ne s'est pas toutefois placé tout à fait à un point de vue aussi simple; il a assimilé ses molécules à de petits résonateurs mobiles, susceptibles de posséder à la fois de la force vive de translation et de l'énergie due à des oscillations électriques. Le résultat aurait dans tous les cas été le même, il aurait retrouvé la loi de Rayleigh.. Quand à moi, je ferai l'inverse, c'est à dire que j'étudierai l'action des molécules sur la lumière." Et à peine plus loin, toujours lors de la même conférence, Poincaré dit : "Il faut maintenant passer de l'action d'une molécule au repos à l'action d'une molécule en mouvement, afin de tenir compte de l'agitation thermique; cela est facile, nous n'avons qu'à appliquer le principe de relativité de Lorentz."
    Pour Poincaré, la relativité c'est Lorentz.

    Dans une conférence faite le 4 mai 1912, presque un mois après la précédente, et intitulée "L'espace et le temps", voilà ce qu'écrit Poincaré : "Le principe de relativité, tel que le conçoit Lorentz, ne va-t-il pas nous imposer une conception entièrement nouvelle de l'espace et du temps et par là nous forcer à abandonner des conclusions qui semblaient acquises?" . On voit que sur des notions aussi cruciales que l'espace et le temps, Poincaré n'évoque absolument pas Einstein.

    En 1911, Poincaré fut sollicité par un collègue du Polytechnicum de Zurich (Suisse) afin d'obtenir une lettre de recommendation en faveur d'Einstein, car Einstein, qui était alors professeur à Prague, voulait retourner en Suisse. Poincaré répondit donc en novembre 1911 à cette sollicitation, de façon non négative, mais en émettant quelques réserves.
    On évoque parfois cette lettre, qui était alors privée, comme étant une reconnaissance par Poincaré des travaux d'Einstein en relativité, ce qui n'est pas la vérité, car :
    Premièrement, Poincaré n'aurait pas manqué de faire référence à ces travaux, dans ses publications et conférences, surtout celles postérieures à 1911.
    Deuxièmement, dans cette lettre on lit : " Comme il cherche (Einstein) dans toutes les directions, on doit au contraire s'attendre à ce que la plupart des voies dans lesquelles il s'engage soient des impasses;" ce qui est loin d'être une adhésion aux méthodes utilisées par Einstein.
    Toisièmement, Poincaré dans sa lettre, ne fait aucunement référence à la publication fondamentale d'Einstein que l'on vient d'analyser.
 
    On présente aussi quelquefois une photo du congrès Solvay qui s'est tenu à Bruxelles en 1911, sur laquelle on voit Lorentz, Marie Curie, Jean Perrin, Poincaré, Einstein, etc..., et sous laquelle on ajoute un commentaire pour donner l'impression d'un consensus autour des idées d'Einstein. Cette façon de prouver est vraiment trop voisine des méthodes utilisées par les régimes totalitaires, il est donc inutile de s'y étendre.

    Il est à noter que la publication d'Einstein est à l'encontre de la nature "ondulatoire" de la matière, celle suggérée par Lorentz. Les suppositions de 1924 de Louis de Broglie, sur la nature ondulatoire des électrons, confirmées par l'expérience en 1927 choqueront Einstein et sa conception des électrons rigides.
 

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