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Ces quelques citations supplémentaires soulignent l'état d'esprit, qui conquit certains scientifiques du continent, et qui fut propice à l'élaboration et à la diffusion de la théorie de la relativité. (Les autres citations se trouvent dans le corps du texte des chapitres précédents.)
Je commence avec Pierre Duhem. Les quelques
extraits ci-dessous sont tirés de son livre "Traité
d'Energétique" paru en 1911, ils montrent ce qu'est l'esprit
relativiste, et à quel point l'espoir de se passer des atomes était
encore vivace à cette date, bien qu'apparaissent certaines nuances.
Les parties en italiques le sont dans l'édition
d'origine. J'ai simplement mis en rouge certains fragments dans les citations.
Son esprit anti-mécaniste est bien souligné dans le passage suivant:
"La réduction de toutes les propriétés physiques à des combinaisons de figures et de mouvement ou, selon la dénomination en usage, l'explication mécanique de l'Univers, semble aujourd'hui condamnée. Elle est condamnée parce qu'elle n'a été jusqu'ici qu'un projet, qu'un rêve, et non une réalité. Malgré d'immenses efforts, les physiciens ne sont jamais parvenus à concevoir un agencement de figures géométriques et de mouvement locaux qui, traité selon les règles de la Mécanique rationnelle, donne une représentation satisfaisante d'un ensemble quelque peu étendu de lois physiques. La tentative qui se propose de réduire toute la Physique à la Mécanique rationnelle, tentative qui fut toujours vaine dans le passé, est-elle destinée à réussir un jour? Un prophète seul pourrait répondre affirmativement ou négativement à cette question. Sans préjuger le sens de cette réponse, il paraît plus sage de renoncer, au moins provisoirement, à ces efforts, stériles jusqu'ici, vers l'explication mécanique de l'Univers."
Pour Duhem, tout la physique se trouve incluse dans
l'Energétique.
"Le code des lois générales
de la Physique est connu aujourd'hui sous deux noms: le nom de Thermodynamique
et le nom d'Energétique."
Sa vision de l'espace et du temps est celle de l'école
relativistes qui existait déjà au dix-neuvième siècle.
"Les notions de temps relatif
à une certaine horloge et de mouvement relatif à un certain
trièdre de référence suffisent à constituer
la Cinématique."
La continuité de la matière est une
base fondamentale de ce mouvement relativiste-énergétique,
et Pierre Duhem en rappelle son principe:
"Dans ce qui va suivre, nous
représenterons un corps comme un espace linéairement connexe,
rempli d'une manière continue,
par une certaine matière."
"Nous ne discuterons pas si
les corps sont réellement continus ou s'ils sont formés de
parties disjointes séparés par le vide; si ces parties disjointes
ont des dimensions finies, bien que très petites, ou bien si ce
sont de simples points. Toutes ces questions au sujet de la constitution
réelle des corps ne sont pas objet de Physique, mais de Métaphysique;
elles ont donné et donnent encore lieu à de vifs débats
entre les diverses Ecoles Philosophiques.
La physique cherche seulement
à construire, au moyen de notions empruntées aux mathématiques,
un système logique qui fournisse une image
approchée des lois relatives aux corps."
"On évite toutes ces difficultés en figurant d'emblée la matière comme continue. Ce mode de représentation conduisant, dans toutes les parties de la Physique, à des théories plus simples, plus claires, plus élégantes que les représentations atomiques et moléculaires, nous l'adopterons de préférence à ces dernières, sans prétendre rien affirmer par là touchant la constitution réelle des corps."
Duhem, après avoir présenté sa conception des combinaisons chimiques comme un mélange particulier de corps continus, évoque l'explication atomique de ces combinaisons, puis il dit: "En réalité, les choses se passent-elles conformément à cette dernière théorie, ce qui est l'opinion des Ecoles atomistique et cartésienne, ou bien conformément à la première, ce qui est la doctrine péripatéticienne ? Cette question ressortit à la Métaphysique et non à la Physique. Pour constituer une représentation symbolique des lois naturelles, ce qui est son objet propre, la Physique théorique est libre d'adopter l'un ou l'autre mode de figuration du mélange et de la combinaison; nous choisirons le premier parce qu'en toute circonstance il donne lieu à des raisonnements plus simples et à des calculs plus élégants." (Le premier mode est celui de la physique péripatéticienne.)
Pour Duhem, la Physique ne peut être qu'une description approchée
de notre Univers, certitude partagée par tous les relativistes,
mais pas par les mécanistes.
"Contrairement à cette
opinion erronée, nous savons que la théorie physique est
une construction idéale, dont les éléments n'ont aucune
relation de nature avec les objets concrets; elle est destinée à
donner une image approchée de la réalité,
et , pour cela, il suffit que chacun des éléments idéaux
qui la composent corresponde d'une manière approchée à
un objet concret."
"Le physicien ne peut donc, entre les corollaires
de la théorie et les lois expérimentales, rechercher autre
chose qu'une concordance approchée
et partielle."
Voici comment Duhem conçoit la Thermodynamique,
ou une théorie physique quelconque.
"Les principes de la Thermodynamique
sont de purs postulats; nous pouvons les énoncer comme il nous plaît,
pourvu que l'énoncé d'aucun d'entre eux ne soit contradictoire
en soi et que les énoncés des divers principes ne se contredisent
pas les uns les autres."
"Au cours de son exposé, une théorie physique est libre de choisir la voie qui lui plaît, pourvu qu'elle évite toute contradiction logique; en particulier elle n'a à tenir aucun compte des faits d'expérience."
C'est assez surprenant!
Je poursuis encore avec Duhem et son livre
"La Théorie Physique, son Objet, sa Structure" édition
1914 (la première édition date de 1906)
Dans la première partie de son livre, Duhem
critique fortement l'école anglaise. Au ch.IV §V on lit : "Voici
un livre destiné à exposer les théories modernes de
l'électricité, à exposer une théorie nouvelle;
il n'y est question que de cordes qui se meuvent sur des poulies, qui s'enroulent
sur des tambours, qui traversent des perles, qui portent des poids; de
tubes qui pompent de l'eau, d'autres qui s'enflent et se contractent; de
roues dentées qui engrènent les unes sur les autres, qui
entrainent des crémaillères; nous pensions entrer dans la
demeure paisible et soigneusement ordonnée de la raison déductive;
nous nous trouvons dans une usine."
(Le livre critiqué est d'Olivier Lodge)
Au ch.IV §IX Duhem évoque certains travaux
de Lorentz et de J.J. Thomson, mais sa conclusion est assez négative
car il dit : "Mais ne nous attardons pas à
ces arguties. Admettons sans détour que l'emploi de modèles
mécaniques a pu guider certains physiciens dans la voie de l'invention
et qu'elle pourra conduire à d'autres trouvailles. Du moins est-il
certain qu'elle n'a point apporté aux progrès de la Physique
cette riche contribution qu'on nous vantait; la part de butin qu'elle a
versée à la masse de nos connaissances semble bien maigre
lorsqu'on la compare aux opulentes conquêtes des théories
abstraites." On notera le ton méprisant avec lequel Duhem
traite les mécanistes.
Le §II du ch.V est intitulé: "Qu'une
loi de physique n'est, à proprement parler, ni vraie ni fausse,
mais approchée."
La conclusion de ce paragraphe est : "Ainsi,
toute loi physique
est une loi approchée; par conséquent, pour le strict logicien,
elle ne peut être ni vraie ni fausse; ..."
On retrouve ici un des principes de l'école relativiste-énergétiste,
principes que j'ai cités au chapitre V paragraphe 1, et celui-ci
porte le n° 13. Ce principe est entaché d'un certain mysticisme
assez désagréable. Que certaines lois soient approchées,
personne ne le conteste, mais prétendre qu'il n'y a pas de loi exacte
relève de la foi.
Le relativisme de Duhem se confirme au §III
suivant, nommé : "Que toute
loi de Physique est provisoire et relative
parce qu'elle est approchée."
Ce paragraphe se termine par : "L'appréciation
de sa valeur {valeur de la loi}varie d'un
physicien à l'autre, au gré des moyens d'observation dont
ils disposent et de l'exactitude que réclament leurs recherches;
elle est essentiellement relative."
On observe ici une variante du principe n° 10 que j'ai énoncé
au chapitre V.
Cette édition de 1914 contient des chapitres
supplémentaires intéressants, dont un est intitulé
:" Physique de croyant"
Le §IV de ce chapitre est dénommé
:" Notre système fait évanouir les
objections prétendues de la science physique contre la métaphysique
spiritualiste et contre la foi
catholique." Je rappelle que le
système de Duhem, c'est le relativisme et l'énergétique.
Nous découvrons ici un nouvel avantage de
la pensée relativiste : elle préserve
la métaphysique spiritualiste et la foi catholique.
On comprend encore mieux
après cela pourquoi les principes relativistes se sont imposés
au détriment des théories mécanistes des Lorentz,
Poincaré, J.J Thomson etc. : ils permettent aux religions
de coexister avec la science. Ils préservent certains domaines que
le déterminisme mécanique semblait remettre en question.
La conclusion de Duhem à ce §IV confirme
parfaitement ce que je viens de dire : "En fabriquant
une classification pour tous les phénomènes qui se produisent
en ce monde, il {le physicien mécaniste en particulier}a
oublié le tiroir aux actes libres."
Nous retrouverons plus bas avec Ostwald, des
préocupations spiritualistes semblables.
Le grand tort des théories mécanistes
c'est donc de laisser peu de place au libre arbitre et aux idées
spiritualistes.
Duhem consacre le dernier chapitre de ce livre à
l'examen critique d'un ouvrage : "La Théorie de la Physique
chez les Physiciens contemporains", qui fut publié en 1907
aux édition Félix Alcan. L'auteur Abel Rey (1873-1940, philosophe
français) y analyse les différentes écoles de physique
en faisant ressortir certains avantages du mécanisme, ce que consteste
Duhem.
Je continue avec Ernst MACH qui a un esprit
relativiste très marqué.
Ses textes inspirèrent fondamentalement Einstein,
tandis que les mécanistes trouvèrent que la pensée
de Mach fut très nuisible à la science.
Dans son livre -La Mécanique- de 1904, on lit :
"La théorie atomique a, dans la science physique, une fonction analogue à celle de certaines représentations mathématiques auxiliaires: elle est un modèle mathématique pour la description des faits."
"L'opinion qui fait de la mécanique la base fondamentale de toutes les autres branches de la physique, et suivant laquelle tous les phénomènes physique doivent recevoir une explication mécanique, est selon nous un préjugé."
"La conception mécanique de la nature nous apparaît comme une hypothèse fort explicable historiquement, excusable et peut-être fort utile pour un temps, mais somme toute artificielle."
"Nous avons donc simplement à découvrir les dépendances réelles des mouvements des masses, des variations de la température, des variations de valeur de la fonction potentielle, des variations chimiques, sans nous imaginer rien d'autre sous ces éléments, qui sont les caractéristiques physiques directement ou indirectement données par l'observation."
"Dans la recherche on procède par le principe de continuité, car c'est uniquement celui-ci qui peut fournir une conception utile et économique de l'expérience."
"L'idée d'une économie
de la pensée se développa en moi par mes expériences
professorales dans la pratique de l'enseignement. Je la possédais
déjà lorsqu'en 1861 je commençai mes leçons
comme privat docent, et je croyais être le seul à l'avoir,
ce que l'on voudra bien trouver pardonnable."
"La science elle-même
peut donc être considérée comme un problème
de minimum, qui consiste à exposer les faits aussi parfaitement
que possible avec la moindre dépense intellectuelle."
Mach s'oppose au temps absolu de Newton.
"Parler d'un <<temps absolu>>, indépendant de toute variation, est aussi dépourvu de sens. Ce temps absolu ne peut être mesuré par aucun mouvement; il n'a donc aucune valeur, ni pratique, ni scientifique. Personne ne peut dire qu'il sache rien de ce temps absolu: c'est une oiseuse entité <<métaphysique.>>"
"Les obscurités métaphysiques s'évanouissent dès que l'on s'est parfaitement rendu compte qu'il s'agit simplement d'établir la dépendance mutuelle des phénomènes ainsi que je l'ai fait ressortir déjà en 1865, 1867 et 1887." (Voir page 220 de son livre pour les références exactes)
Il s'oppose de même très fortement à l'espace absolu de Newton.
"Personne ne peut rien dire de l'espace absolu et du mouvement absolu, qui sont des notions purement abstraites, qui ne peuvent en rien être le résultat de l'expérience. Nous avons montré en détail que tous les principes fondamentaux de la mécanique proviennent d'expériences sur les positions et les mouvements relatifs des corps. Dans les domaines où l'on reconnaît aujourd'hui leur validité, ils n'ont pas été acceptés sans preuves et ne pouvaient l'être. Nul n'est autorisé à étendre ces principes hors des limites de notre expérience. Bien plus cette extension n'aurait aucun sens car personne ne saurait en faire usage."
"Abstraction faite de ce milieu inconnu de l'espace (il s'agit de l'éther que Mach ne prononce pas), qui ne doit pas être considéré, on trouve que les mouvements dans le système du monde sont relatifs et les mêmes, que l'on adopte le système de Ptolémée ou celui de Copernic. Ces deux conceptions sont également justes; la seconde n'est que plus simple et plus pratique."
"D'après moi il n'existe
somme toute qu'un mouvement relatif et je n'aperçois à cet
égard aucune distinction entre la rotation et la translation.
Une rotation relativement aux étoiles fixes fait naître
dans un corps des forces d'éloignement de l'axe; si la rotation
n'est pas relative aux étoiles fixes, ces forces d'éloignement
n'existent pas. Je ne m'oppose pas à ce qu'on donne à la
première rotation le nom d'absolue pourvu que l'on n'oublie
pas qu'elle n'est autre qu'une rotation relative par rapport aux
étoiles fixes."
"Je considère donc
ces deux cas comme n'en formant qu'un seul et la distinction
qu'en fait Newton comme illusoire."
La relativité du mouvement est déjà
défendue par Mach dès 1872. Dans "Histoire
et fondement du principe de conservation de l'énergie" on
retrouve à peu près le même texte :
"Pour moi il n'existe que
des mouvements relatifs..."
"Quand un corps tourne par
rapport aux étoiles fixes, des forces centrifuges se produisent;
quand il tourne par rapport à quelqu'autre corps et non par rapport
aux étoiles fixes, aucune force centrifuge ne se produit. Je ne
m'oppose nullement à ce qu'on réserve au premier le terme
de rotation, aussi longtemps que l'on se rappellera qu'il ne s'agit de
rien d'autre qu'une rotation relative par rapport aux étoiles fixes."
"De tout évidence,
cela n'a guère d'importance que nous pensions de la terre qu'elle
tourne sur son axe, ou qu'elle est immobile tandis que les étoiles
fixes tourneraient autour d'elle."
Ces textes sont encore plus déconcertants
que ceux de Duhem. Après cela il n'est pas étonnant de voir
la confusion s'installer et durer.
Voici des extraits du discours de Willem Ostwald
sur la banqueroute du matérialisme scientifique, discours fait en
1895 au congrès des naturalistes allemands.
Il y exprime ses idées relativistes de façon
assez brutale.
"De tout temps, on s'est plaint d'être si peu d'accord sur les questions fondamentales qui intéressent le plus l'humanité. C'est de nos jours seulement que ces plaintes se sont tues; en fait, chose rare à toute autre époque, il règne aujourd'hui, à part quelques divergences encore, un accord presque complet en ce qui concerne la conception du monde extérieur. Notre siècle est le siècle du naturalisme. Interrogez le premier venu, pénétré des idées naturalistes, depuis le mathématicien jusqu'au médecin praticien; demandez lui son avis sur la constitution intime du monde. La réponse sera invariablement la même : <<Toutes choses sont formées d'atomes en mouvement; ces atomes et les forces qui agissent entre eux sont les dernières réalités dont se composent les phénomènes particuliers.>> Partout on répète, en manière d'axiome, que seule la mécanique des atomes peut donner le clef du monde physique. Matière et mouvement, tels sont les deux concepts auxquels on ramène en dernière analyse les phénomènes naturels les plus complexes. A cette théorie on peut donner le nom de matérialisme physique."
"Je veux exprimer ici ma conviction
que cette manière de voir, malgré tout son crédit,
est insoutenable; que cette théorie mécanique n'a pas atteint
son but, car elle se trouve en contradiction avec des vérités
tout à fait hors de doute et universellement acceptées. La
conclusion s'impose : il faut l'abandonner et la remplacer, autant que
faire se peut, par une autre meilleure. On se demandera naturellement:
En existe-t-il une meilleure? A cette question je crois pouvoir répondre
par l'affirmative." (C'est l'énergétique.)
"Pourtant la théorie
des ondulations était aussi comptée; à notre époque,
cette théorie a été enterrée sans bruit, pour
faire place à la théorie électromagnétique.
Faisons l'autopsie de son cadavre: la cause
est évidente, elle a péri par ses parties mécaniques..."
Les extraits suivants du livre d'Ostwald :
"L'Energie", paru en 1911 en français dévoilent certains
aspects curieux de sa pensée.
Dans tout ce livre, Ostwald s'oppose aux atomes
et aux conceptions mécanistes conformément à son école,
avec en plus certaines applications surprenantes de l'énergétique.
Ostwald attend vraiment tout de l'énergie
et de l'énergétique, comme on peut le lire dans l'introduction
de son livre : "L'énergie est donc un élément
essentiel de toutes les choses réelles, c'est à dire concrètes;
aussi peut-on dire que c'est dans l'énergie que s'incarne le
réel."
"M'adressant aux personnes
cultivées, je chercherai à leur montrer, en empruntant constamment
des exemples à l'expérience journalière, comment l'énergétique
permet de ramener à un point de vue unique les manifestations les
plus diverses du savoir humain, comment elle donne le moyen non seulement
de comprendre le passé, et de juger du présent, mais
encore de déterminer l'avenir."
Pour Ostwald, l'esprit est une forme particulière
d'énergie. Sa conception est assez déroutante.
§36 "On verra plus tard que l'on ne
doit pas s'arrêter à cette conception comme quelque chose
de définitif, et que le dualisme matière-énergie lui
même peut être supprimé, attendu que la notion de matière
est une notion subordonnée, et une notion qui n'est même pas
particulièrement heureuse. Bien entendu, le dualisme esprit-matière
disparaît du même coup, et la question se pose de savoir quelle
est la relation de l'énergie avec l'esprit. Eh bien -et c'est là
le progrès le plus considérable qui ait été
réalisé dans cet ordre d'idées- au regard de la science
ces deux entités sont de même espèce, et la
notion d'esprit se fond dans celle d'énergie."
Dans ce qui suit comme dans ce qui précède,
on se rend compte que l'équivalence matière énergie
est une notion fortement encrée chez Ostwald..
§83 "Dans la plupart des cas, les
choses ont pris à nos yeux un aspect différent de celui auquel
nous avait accoutumés le matérialisme scientifique, car,
à la place de la réalité (très douteuse) de
la matière, nous est apparue celle de l'énergie."
Ostwald exprime ci-dessous sa confiance en l'énergétique,
et sa défiance vis à vis des hypothèses mécanistes.
"Tout
ce qui pourra arriver aux lois énergétiques, c'est d'être
élargies ou précisées; l'édifice qu'elles forment
sera peut-être embelli; jamais il ne sera démoli ou reconstruit.
Ce qui a été à mainte reprise démoli et reconstruit
-et il était inévitable qu'il en fût ainsi- ce sont
les hypothèses mécanistes."
Ostwald cherche à pénétrer
les secrets de la vie par l'énergétque.
§84 "Aussi allons nous rechercher
si l'on peut utiliser les notions énergétiques pour découvrir
quelle est l'essence de la vie."
§93 "..; la question que l'on a à
résoudre est celle de savoir dans quelle relation la notion d'énergie,
qui est beaucoup plus large que celle de matière, se
trouve avec la notion d'esprit."
"Je
crois pouvoir présenter les choses ainsi : les phénomène
psychologiques peuvent être conçus comme des phénomènes
énergétiques et interprétés comme tels aussi
bien que tous les autres phénomènes."
§94 "..., nous dirons que nous avons
affaire ici à de l'énergie nerveuse, ...".
Cette partie de la conclusion d'Ostwald permet de
se rendre compte de l'attente démesurée qu'il a de l'énergétique
:
§107 "On voit donc que l'énergétique
permet d'explorer avec succès tous
les domaines de la civilisation, et que non
seulement elle fait comprendre son passé dans ses grandes lignes,
mais encore elle indique nettement où doivent tendre ses efforts."
Comme pour Duhem, il semble que des préocupation
d'ordre spirituelle lui fassent préférer le relativisme (de
Comte) au mécanisme (anglais).
Dans ce livre qui fut écrit en 1907, Ostwald
ne cite ni Lorentz ni Einstein.
On peut tout de même se demander comment un
homme aussi rationnel qu'Ostwald a pu avoir de si curieuses idées?
Je cois que la réponse se trouve dans l'introduction de son livre
: "Il y a quelques années, un homme bienfaisant,
dont l'esprit a autant d'étendue que de profondeur, donna les sommes
nécessaires pour construire et installer magnifiquement un institut
destiné à des recherches qui s'imposent aujourd'hui avec
grande force, à des recherches relatives aux phénomènes
sociaux; or, en même temps, il fit un don plus précieux
encore, celui d'une idée, dont l'étude approfondie constituera
le fond intellectuel de cet institut jusque dans le lointain avenir. Cette
idée, c'est d'appliquer la science
de l'énergie aux phénomènes sociaux. Il
pense avec raison que ce n'est qu'au moyen de l'énergétique
que l'on pourra parvenir à une conception et à un classement
scientifique de ces phénomènes d'une complication si grande.
On aurait pu croire que cette idée exciterait immédiatement
et partout l'attente à laquelle elle a droit; mais, tout au contraire,
elle semble avoir été à peine comprise jusqu'à
présent, et l'on ne trouve guère de marques de son influence
en dehors du cercle des collaborateurs de E. Solvay."
Le bienfaiteur dont il s'agit est Ernest Solvay,
de Bruxelles, patron et fondateur des usines Solvay. Solvay organisa en
1911 une conférence scientifique internationale (la conférence
Solvay) à laquelle participèrent Lorentz, Poincaré,
Langevin, Rutherford, Marie Curie, Einstein etc... Cette conférence
fut immortalisée par une photo maintenant célèbre.
Les phénomènes sociaux sont faits
de relations entre individus, ce sont des phénomènes relatifs.
Le relativisme était donc pour Solvay, une méthode d'étude
toute indiquée, applicable aux phénomènes sociaux.
Les vues de Solvay, accompagnées de largesses bienfaitrices, ont
contribuées à imposer la théorie énergétique-relativiste,
comme le montre la citation précédente.
Décidément, la théorie
énergétique-relativiste a toutes les vertus, non seulement
elle explique les phénomènes physiques en préservant
la métaphysique spiritualiste et la foi catholique (voir ci-dessus
les citations de Duhem), mais de plus, elle permet de comprendre le fonctionnement
de l'esprit, de traiter les phénomènes sociaux, et même
de prévoir l'avenir. Que demander de plus à une théorie?
Les extraits de la conclusion du livre de Jean
Perrin, "Les atomes", montrent qu'en 1913, on respectait encore
les idées anti-atomiques, qui étaient alors un des aspects
du relativisme (Mach, Duhem..).
"Pourtant, et si fortement
que s'impose l'existence des molécules ou des atomes, nous devons
toujours être en état d'exprimer la réalité
visible sans faire appel à des éléments invisibles.
Et cela est en effet très facile." {Suit une explication.}
Mais Perrin se reprend peu après en écrivant
: "Mais sous prétexte de rigueur, nous n'aurions
pas la maladresse d'éviter l'intervention des éléments
moléculaires dans l'énoncé des lois que nous n'aurions
pas obtenues sans leur aide. Ce ne serait pas arracher un tuteur devenu
inutile à une plante vivace, ce serait couper les racines qui la
nourissent et la font croître."
"La théorie atomique
a triomphé. Encore nombreux naguère, ses adversaires enfin
conquis renoncent l'un après l'autre aux défiances qui, longtemps,
furent légitimes et sans doute utiles." On sent que la fin
de cette dernière phrase a pour but d'adoucir les effets négatifs
des opposants aux atomes.
Pour montrer comment l'histoire peut être faussée,
voici un extrait de "Matière et Lumière" publié
en 1937 par Louis de Broglie aux éditions Albin Michel.
Son livre est par ailleurs excellent, c'est un savant
aux grands mérites qui a toute mon estime, mais son exposé
historique n'est que le point de vue de l'époque.
Page 88 on lit :
"L'étude plus approfondie
des propriétés mécaniques des électrons
à grande vitesse a montré, depuis,
que la masse de l'électron
varie avec sa vitesse exactement suivant la
loi prévue par la théorie de la Relativité.
On sait en effet que le développement des belles idées d'Einstein
sur la relativité des phénomènes physiques conduit
à adopter une Dynamique qui pour les vitesses élevées
(c'est-à-dire pour les vitesses approchant la vitesse de la lumière
dans le vide) s'écarte de la Dynamique de Newton."
Or, comme je l'ai déjà montré, c'est Lorentz, plus d'un an avant la publication d'Einstein, qui donna les bonnes formules des variations de masse pour un électron; de plus une des formules, donnée par Einstein en 1905 sur les masses variables, est erronée; et toujours en 1905, l'électron d'Einstein n'est qu'un corpuscule rigide quelconque chargé d'une quantité quelconque d'électricité qui n'a presque rien à voir avec l'électron déformable de Lorentz.
Page 116 il est écrit:
"Le développement de
la doctrine relativiste d'Einstein n'a aucunement nuit à la fortune
de la théorie des électrons car celle-ci peut aisément
se plier aux exigences du principe de relativité. En particulier,
la variation de la masse de l'électron avec sa vitesse prévue
par la Dynamique relativiste s'est montrée en bon accord avec l'expérience
(Guye). En s'adaptant à la forme relativiste, la théorie
des électrons s'est même trouvée automatiquement échapper
aux difficultés qu'elle rencontrait pour l'interprétation
de certains résultats expérimentaux tel le célèbre
résultat négatif de la tentative de Michelson pour la mise
en évidence par un phénomène optique local du mouvement
absolu de la terre dans l'espace."
Il est très déroutant de voir comment
on peut ainsi contrefaire l'histoire, il est vrai que le contexte de 1937
ne se prêtait guère aux exigences historiques. Je rappelle
tout de même que la théorie des électrons de Lorentz
fut en partie faite pour expliquer le résultat négatif de
Michelson, faite pour expliquer le principe de relativité avant
qu'Einstein ne l'énonce, qu'elle y a parfaitement réussi,
et à tel point qu'Henri Poincaré dira jusqu'à sa mort
en 1912: Principe de relativité de Lorentz.
En 1904, Lorentz part de ses formules, obtenues par des calculs en électromagnétisme, et prouve le principe de relativité en faisant intervenir les électrons et des atomes.
En 1905, Einstein part du
principe de relativité, retrouve les formules de Lorentz, et remplace
les électrons et des atomes de Lorentz par des corps continus
idéalement rigides.
Le grand avantage de cette explication est
de pouvoir se passer
des atomes des électrons et de l'éther.
L'imposition de la seconde démarche a certainement
conduit de grands hommes à altérer involontairement les faits.